Contribution du groupe GEST au rapport de la Commission d’enquête sur la concentration des médias

L’information n’est pas une marchandise comme une autre. L’information est un bien public qui conditionne le libre exercice de l’esprit critique, qui conditionne le bon exercice de la vie démocratique. Pour fonctionner, une démocratie a besoin de médias indépendants et pluriels afin de contribuer à la libre circulation des idées, des opinions. Au devoir d’être informé correspond le devoir d’informer. La commission d’enquête a réalisé un travail considérable depuis sa création à la demande du groupe SER le 24 novembre 2021. Nous tenons à remercier le groupe Socialiste et son rapporteur, le sénateur David Assouline, pour cette initiative. 

Plusieurs initiatives sont dans une temporalité proche, ainsi les ministres de l’Economie et de la Culture, M. Le Maire et Mme Bachelot ont engagé une mission gouvernementale via l’IGAC et l’IGF. Celle-ci a pour objet de dresser un état des lieux, faire une analyse du cadre juridique et émettre des propositions qui feront l’objet d’études d’impact. Nous regrettons que cette initiative, qui revêt un caractère confidentiel, arrive trop tardivement et ne puisse remettre en cause l’objet même de son existence. Malheureusement, les conclusions de cette mission ne seront pas connues d’ici la publication du rapport de notre commission d’enquête. Qui plus est, elles ne pourront pas influer sur les dynamiques de concentration en cours. 

Néanmoins, l’objectif initial a été atteint : le débat public a eu lieu. Les multiples auditions ont permis d’attirer les regards sur le thème de la concentration dans les médias. Nous espérons que le rapport aura une utilité pour la suite et sera à l’origine d’évolutions législatives.

Le cadre législatif actuel est à réviser puisque le constat de son obsolescence est manifeste. La législation en vigueur ne défend pas efficacement le pluralisme qui est un objectif à valeur constitutionnelle. La Loi 86 qui défendait le pluralisme et la liberté de communication a très peu été modifiée en 35 ans et est devenue obsolète avec l’essor d’Internet et des réseaux sociaux. Les textes de lois actuellement en vigueur présentent des lacunes. En effet, pour l’audiovisuel, ils ne portent que sur la diffusion hertzienne. Concernant l’édition, ils ne portent que sur la diffusion papier. Cette loi ne permet pas de mesurer le pluralisme de l’information aujourd’hui. La dernière grande réflexion sur le sujet remonte à la commission Lancelot, autrement dit à 2005. La loi n’est donc pas à amender mais bien à ré-écrire totalement, n’en déplaise à celles et ceux qui disent ne pas voir de problème dans les dynamiques de concentration à l’œuvre et qui prennent pour exemple l’époque de l’ORTF ou les grandes heures du groupe Hersant. Si l’on considère le nombre de chaînes TV et radios aujourd’hui, qu’elles soient publiques ou privées, et qui tend à ignorer complètement la révolution numérique portée par l’informatique et internet. La comparaison n’a donc pas lieu d’être et c’est bien une obsolescence législative qu’il convient de corriger. Tel devra être le sens des propositions qui figureront dans le rapport de la commission d’enquête.

Propositions

Garantir l’indépendance et l’éthique

Redonner toute leur place aux salariés et journalistes dans la gouvernance des médias :

  • Instaurer une gouvernance paritaire des organes de contrôle des entreprises entre actionnaires et salariés. Gouvernance composée pour moitié de salariés, parmi lesquels deux tiers de journalistes. 
  • Le choix du directeur de la rédaction devra échoir à l’organe de gouvernance paritaire. Pour être valide, cette nomination sera soumise à l’approbation, à la majorité des votants et avec un taux de participation d’au moins 50% de l’ensemble des membres de la rédaction.
  • Droit d’agrément effectif dès lors qu’une cession de titres se traduit par un changement de propriétaire. Quand changement d’actionnaire principal, des mesures sociales doivent être proposées.
  • Donner à l’instance représentative des journalistes un réel statut juridique pour garantir à leurs membres une plus grande indépendance dans leur travail (Conseil de rédaction, Société des journalistes, Pôle indépendance).

Renforcer la liberté d’exercice des journalistes

  • Restreindre aux informations commerciales la définition du secret des affaires adoptée en 2018.
  • Faire primer l’accès aux documents administratifs sur le secret des affaires, notamment ceux qui concernent les mesures sanitaires.
  • Protéger des journalistes et leurs sources contre l’intimidation et les violences
  • Renforcer les normes de protection de la liberté d’expression contre la pratique des poursuites-bâillons et le recours abusif aux poursuites judiciaires destinées à intimider les journalistes et leurs sources.
  • Rétablir le droit à la diffusion d’images, notamment pour garantir le droit à l’information sur les violences policières, abroger l’article 36 de la loi “séparatisme” de 2021.
  • Renforcement de la liberté de la presse. Compléter la loi Dali de janvier 2010 avec des mesures qui permettraient de mettre à l’abri les journalistes et leurs sources des intrusions facilitées par la loi Renseignement. Permettre un meilleur accès aux informations et documents publics et autoriser le libre accès des journalistes à l’ensemble des lieux recevant du public sans demande d’autorisation préalable.
  • Lutter contre la précarisation du métier de journaliste. Respecter un seuil minimum de journalistes salariés au sein de la rédaction. Respecter le droit social et les conventions collectives. Assurer une égalité salariale entre les femmes et les hommes. Mettre en place une cellule de signalement des violences sexistes et sexuelles. 

Renforcer les comités déontologiques et/ou les chartes éthiques

  • Ces comités doivent exercer un véritable pouvoir de contrôle et faire respecter les chartes éthiques. Ils pourront être saisis par les sociétés des journalistes, un journaliste, un syndicat, une instance de direction, etc. 

Accroitre l’autorité du régulateur

L’ARCOM dispose d’un large éventail de sanctions, celles-ci sont cependant peu utilisées et perdent de ce fait leur caractère préventif puisque le volet répressif n’est pas ou peu appliqué. 

  • Renforcer ses prérogatives pour sanctionner de façon effective. Ajout d’une sanction de rétrogradation dans les créneaux hertziens mis à disposition par l’Etat lors de la révision du contrat.
  • Nomination à l’ARCOM : Mettre fin à la nomination du président de l’ARCOM par la Président de la République. Réformer le mode de nomination des membres de l’ARCOM afin de garantir leur réelle indépendance. Ainsi, la moitié d’entre eux pourrait être désignée par les salariés des entreprises placés sous son autorité. 
  • Interdiction pour les dirigeants de faire des aller/retour entre entreprises de l’audiovisuel public ou privé.  
  • Augmenter le budget de l’ARCOM. Elle doit pouvoir exercer pleinement ses fonctions avec un budget qui lui permette de remplir ses missions renforcées. 
  • Création d’un « observatoire du pluralisme et de la transparence dans les médias » à l’échelle de l’UE. Il pourrait être l’embryon d’une future agence de l’Union européenne qui centraliserait les informations des entités nationales équivalentes et pourrait saisir les entités juridiques de l’UE en cas de non-respect des principes de liberté de la presse, de transparence, de respect du pluralisme.

Réinventer l’économie de la presse et des médias

Aides à la presse : conditionner les aides à la presse et des conventions audiovisuelles au respect de plusieurs critères 

  • Repenser le système des aides à la presse en renforçant, simplifiant et en le rendant plus transparent. 
  • Respecter la composition paritaire des organes de gouvernance
  • Flécher les aides à la presse pour les groupes dont la presse est l’activité principale voire unique. Aujourd’hui, plus de 50% des aides vont à des groupes qui n’ont pas la presse comme activité principales.

Plafonner le versement de dividendes de la part des entreprises de presse et de l’audiovisuel

  • Limiter chaque année le versement de dividendes à hauteur de 30% des bénéfices réalisés, le reste devant être dédié à une réserve statutaire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise de presse/audiovisuel.

Instaurer des « Bons pour l’indépendance des médias »

  • Solliciter l’implication citoyenne. Permettre à chaque Français, dès l’âge de 16 ans, d’attribuer une certaine somme d’argent au(x) média(s) de son choix. Seules les entreprises respectant les conditions définies précédemment (droit d’agrément, transparence sur les actionnaires, etc) pourraient bénéficier de ces aides. 

Favoriser l’émergence de nouveaux médias indépendants

  • L’aide de la BPI pourrait être sollicitée pour aider au lancement et à l’accompagnement de nouveaux médias.

Améliorer la transparence du financement des entreprises éditrices de presse 

  • Dès lors qu’un actionnaire détient au moins 5% des parts d’un média (contre 10% aujourd’hui), son identité physique devra être rendue publique 
  • De même, les lecteurs devront être informés lorsqu’un article traite d’un sujet en lien avec un actionnaire détenant au moins 5% du capital de l’entreprise éditrice. 

Réviser la législation pour faire respecter les droits voisins

  • Poursuivre le processus engagé par l’OCDE pour un taux minimal d’imposition des GAFAM et des multinationales en général.
  • Taxer les annonceurs à hauteur de 1% de leurs dépenses publicitaires en ligne.
  • Affecter une partie de la taxe GAFAM au soutien à l’audiovisuel public et la presse d’information.

Garantir l’avenir de l’AFP et de l’audiovisuel public

  • Sanctuariser les institutions que sont l’AFP et l’audiovisuel public. Celles-ci doivent demeurer indépendantes.
  • Remplacer l’actuelle contribution sur l’audiovisuel public par une redevance obligatoire, universelle évolutive en fonction des revenus, qui porte sur l’ensemble des supports (TV, smartphone, tablette, ordinateur).

Publicité 

  • Obliger les annonceurs à diversifier leur achat d’espaces publicitaires dans les médias.  Interdiction d’investir plus de 25% sur le même support : télévision, radio, Google ou Facebook. 
  • Respecter le principe de « à programme local, publicité locale » et ne pas remettre en cause le dispositif encadrant la publicité segmentée. 

Encourager la production française et européenne pour faire face aux GAFAM

  • Lancer une plateforme européenne pour garantir une souveraineté numérique en termes de production face aux plateformes américaines. Une initiative que la France devrait prendre pendant la présidence de l’Union européenne.

Développer l’éducation à l’information et aux médias

  • Instaurer un module d’enseignement consacré à l’information et aux médias afin de réduire la vulnérabilité face aux fausses informations et rétablir la confiance envers le travail des journalistes professionnels en s’inspirant du modèle finlandais.
  • Ouvrir un débat sur le fait que les fournisseurs d’accès à internet puissent avoir également la main sur les contenus via la propriété de médias. 

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