La pandémie, plutôt la syndémie, a percuté un système de santé affaibli et inadapté, par la conjonction d’une épidémie infectieuse, (« nous sommes entrés dans l’ère des pandémies » notamment des zoonoses) sur fond d’épidémie de maladies chroniques (obésité, diabète…) aux forts gradients sociaux-économiques, de transition démographique et de (grande) pauvreté. La prochaine réforme du système de santé devra être systémique.
20 ans d’affaiblissement de l’hôpital public : retour sur les facteurs ayant fait système provoquant la crise de l’hôpital et du service public de santé, favorisant la privatisation commerciale de la santé et aggravant les inégalités sociales et territoriales de santé ;
Pour l’hôpital : un ONDAM basé sur un niveau très insuffisant des ressources financières, contraintes par le respect des critères européens des dépenses et des déficits publics. Dès lors, l’écart avec l’évolution spontanée et mécanique des besoins de santé fera l’objet d’une injonction de réaliser des milliards d’économies dits d’efficience, qui se traduiront in fine par des pressions sur le personnel (déflation salariale, baisse des ratios soignants) et des fermetures de services et de lits au-delà de l’effet du virage ambulatoire.
Se cumulant à cet objectif ex ante de dépenses publiques des établissements de santé en net retrait des besoins, la dépense hospitalière ces dernières années fera l’objet ex post d’une sous-exécution de l’enveloppe prévue par des mises en réserves « prudentielles » afin de compenser le surcroît des dépenses des soins de ville, insuffisamment régulée. Et ce, par la baisse des tarifs de la T2A (baisse déconnectée de l’évolution des coûts qu’elle est censée traduire) s’ajoutant à l’ajustement prix-volume. Par le mécanisme de points flottants pilotant la baisse des tarifs de la T2A, la T2A a constitué le bras armé de la rigueur, bien loin de l’outil technique pertinent pour un certain nombre d’actes techniques, programmables et standardisés.
Les ONDAM hospitaliers constamment sous-évalués et de plus compensant les dépassements de l’ONDAM de ville, ont nourri les déficits structurels, qui ont fait chuter les taux d’investissements tant courants que structurants (manque d’équipements, vétusté des hôpitaux) et tripler la dette des hôpitaux en 10 ans qui devra être reprise pour recouvrer des marges de manœuvre de modernisation (notamment pour la digitalisation de la santé).
La baisse des tarifs a obligé à accroitre de plusieurs points l’activité (15 % en dix ans et quelquefois par des actes non pertinents ou par surcodage) pour maintenir les budgets à effectifs quasi constants (+ 2 %), dégradant les conditions de travail et altérant le sens du travail. L’augmentation de l’activité entrainant une baisse de tarifs, le cercle vicieux était enclenché. Il faut rompre avec cette logique infernale.
Cet étouffement par les rigueurs budgétaires à court terme a pesé plus fortement sur l’offre publique, le privé lucratif délaissant les activités « non rentables » (médecine, obstétrique, soins de suite…) voire déficitaires et se concentrant sur les activités rentables (chirurgie notamment ambulatoire) plus adaptées à l’outil T2A et grâce aux dépassements d’honoraires qui lui permettent de proposer de meilleures rémunérations et conditions de travail (notamment aux chirurgiens).
L’hôpital public est de plus le réceptacle des multiples crises du système : ses services d’urgence sont débordés puisqu’assurant quasiment seuls (hors quelques MMG, centres de santé, MMS) la permanence des soins (une partie des soins primaires devrait être traitée à l’amont), et la gestion chronophage de la gestion de l’aval (car manque de lits et de solutions de retour à domicile). Là encore, l’hôpital public hérite des cas complexes (poly-pathologies instables, malades chroniques, âgés, en détresse sociale, PUMA, AME…) et oriente les patients dits « clinicables » vers les cliniques privées : hospitalisations nécessitant une intervention chirurgicale sans complexité sociale.
Et pourtant, en 2020, les structures les plus mobilisées lors du choc sanitaire en 2020 (avant la campagne de vaccinationqui a inclut les professionnels de ville) ont été les hôpitaux publics (85 % des patients hospitalisés en 2020 pour la COVID) et les ESPIC, et dans une moindre mesure les autres acteurs de santé dont les CPTS assurant la coordination en équipe pluri-professionnelle comme les collectivités territoriales.
Les écologistes promeuvent l’économie sociale et solidaire, mais le modèle de l’ESPIC n’a pas toujours pu résister aux logiques gestionnaires délétères (ils souffrent de plus d’un différentiel de charges sociales par rapport à l’hôpital public alors qu’ils participent au service public hospitalier). Devant les difficultés, certains ESPIC transfèrent leurs autorisations « au plus offrant », de fait le secteur lucratif, abandonnant les activités « rentables » voire des établissements entiers. Aussi, le modèle de santé doit permettre de réaffirmer et de garantir à l’avenir que la santé reste un « bien commun » assurant à tous un large panier de soin et de prévention. Les autorités de tutelle doivent garder la main sur les transferts d’autorisations.
Si la T2A a du sens concernant les actes techniques standards programmables, son lien univoque avec l’activité n’est pas pertinent pour le suivi des parcours de santé des malades chroniques. Et encore moins pour les missions de santé publique, de la prévention et de promotion de la santé : d’où la nécessité de passer à une responsabilité et dotation populationnelle pour l’engagement autour d’objectifs de santé publique et de réduction des inégalités de santé.
Car la crise du système de santé est profonde, elle provient de l’incapacité à se décentrer du curatif et du soin (et d’une certaine façon de l’hôpital), car s’il faut améliorer l’accès aux offres de soins, il faut urgemment maintenir la population en bonne santé, en prévenant et intervenant avant la survenue de la maladie et son traitement, là gisent désormais l’efficacité du système de santé et la maitrise future des dépenses (son efficience). Pour cela, il faut agir sur les déterminants sociaux, environnementaux et comportementaux de santé dont l’impact est prédominant notamment sur l’épidémie de maladies chroniques et ne pas se limiter aux déterminants médicaux.
La France s’enorgueillit de la progression de son espérance de vie mais ignore que pendant une décennie l’espérance de vie en bonne santé a stagné pour les hommes à 62,6 ans (soit dix ans de moins que la Suède !) rompant avec un temps où l’espérance de vie sans incapacité croissait plus vite que l’espérance de vie. Le temps vécu avec incapacités (16 ans)tend à augmenter ce qui démultiplie les effets de la transition démographique et explique les taux bas d’activité en fin de vie professionnelle. Avec près de dix ans d’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre, les conditions de travail et de vie jouent un rôle majeur. A cela, s’ajoute les disparités régionales à même statut professionnel.
L’explosion des comorbidités est corrélée à la pauvreté et l’extrême pauvreté. La distribution de l’état de santé suit celle de l’échelle des revenus, chaque décile supérieur en revenu est supérieur en état de santé. Réduire les inégalités de revenus ou les accroître n’est pas neutre quant à la réduction ou l’augmentation des inégalités face à la maladie et à la mort.
Le système de santé doit donc faire une plus grande place aux objectifs de réductions des gradients sociaux de santé notamment des maladies chroniques et des comorbidités (dont l’obésité à prendre en charge en ALD) par un effort inédit et constant, y compris financier, de promotion et de prévention individuelle et collective. C’est à l’Etat à définir les objectifs nationaux prioritaires de santé publique et de réduction des inégalités sociales et territoriales de santéqui devront être déclinés et adaptés en partant des besoins de santé des territoires par les collectivités territoriales, en lien et en cohérence avec la redéfinition et le renforcement de leurs compétences en matière de santé.
Aussi, la stratégie nationale de santé publique définie par l’état (compétence régalienne) et validée par le parlement, exige des services suffisamment déconcentrés (DT des ARS via les PRS) et une approche très décentraliséevia des délégations et l’appui sur les collectivités territoriales (via les projets territoriaux de santé et les projets – contrats – locaux de santé).
Accompagnant ce tournant du système de santé, la spécialité de Santé Publique (recrutements, recherche, enseignement) doit être valorisée et reconnue comme pivot d’un système de santé refondé.
La santé dépend massivement de l’environnement y compris professionnel : bruit, qualité de l’air, de l’eau, pesticides, alimentation, perturbateurs endocriniens, substances CMR …. Et de la préservation de la biodiversité (une seule santé, santé intégrée ou santé planétaire sont désormais des concepts clefs), la santé environnementale, et son approche transversale, doit être une priorité.
La France doit réinvestir la santé scolaire, universitaire, au travail, la santé tout au long de la vie, booster la promotion et l’éducation à la santé (contraception, activité physique, diététique, règles d’hygiène…) comme l’information du citoyen acteur et responsable (Planet-Score pour les pesticides, Nutri-Score par exemple).
Pour faire face aux nouveaux enjeux de santé publique, il convient d’augmenter sensiblement la part des dépenses consacrée à la prévention pour prévenir les maladies chroniques (60 % des dépenses de santé, 11 millions de personnes), promouvoir les parcours coordonnés de santé pluri professionnelles avec un mode de financement spécifique, former les professionnels à l’Education Thérapeutique du Patient.
Autre enseignement de la crise, il faut mettre fin à la gestion par les flux des lits de soins intensifs (dont les lits de réanimation), avec un taux d’occupation proche de 100 % des lits de l’hôpital-entreprise (comme des quasi stocks zéros des médicaments et produits de santé, y.c stratégiques) et accepter, à une échelle territoriale pertinente, des lits non occupés, disponibles et des marges de manœuvres en termes de professionnels formés. Ce qui mettra fin à la carence chaque hiver lors des pics saisonniers de grippe ou de bronchiolites.
Les enseignements en termes d’efficacité de la gouvernance hospitalière en temps de crise doivent être tirés : remise en question des pôles, du primat financier et management bureaucratique associé, retours de la place des Services et de l’autonomie des équipes médicales et soignantes, prise en compte des missions spécifiques de l’hôpital public telles la continuité et la permanence des soins, l’accueil sans tri des patients et des publics, coordination avec tous les acteurs de santé….
Cependant, face à la fatigue des collectifs générée par le mille- feuille des réformes, il convient de marquer une pause tant qu’une nouvelle vision à moyen terme du système de santé n’aura pas fait l’objet d’un débat national. Cela suppose une évaluation approfondie des réformes depuis deux décennies, de leurs impuissances à répondre aux nouveaux enjeux de santé, au-delà de leurs rôles dans la « casse » de l’hôpital public par (et prétexte à) la marchandisation et la privatisation de la santé.
En attendant, il faut décréter un moratoire sur les restructurations avec fermetures d’hôpitaux, de lits et de services, en attente d’un plan pluriannuel de santé et réaffirmer la nécessité d’un service public hospitalier de proximité (hôpitaux de proximité maillant le territoire) en lien avec la médecine de ville de premier recours.
Pour basculer d’un système de soins à un système de santé, l’embauche de dizaines de milliers de professionnels de toutes disciplines sera nécessaire, par une politique ambitieuse d’attractivité des métiers du Prendre soin(rémunérations portées à la moyenne de l’OCDE, effort de formation continue pour accompagner des transferts de compétences, VAE, …), supprimer Parcoursup, « libérer » les capacités d’accueil en faculté des étudiants de médecine en planifiant la démographie médicale nécessaire à moyen terme en partant des besoins de santé.
Enfin, la dette COVID doit être assumée par l’état, faute de quoi, cette dette sociale à rembourser d’ici 2030 et l’austérité induite, empêchera la définition d’objectifs pluriannuels de santé tenant compte de l’augmentation naturelles des besoins, de la transition démographique, des innovations thérapeutiques et des objectifs majeurs de santé publique. Il faut un nouveau souffle à notre système de santé.
Raymonde Poncet Monge, GEST